Le deuil migratoire désigne la douleur liée à la perte d'éléments importants lors de l'immigration, notamment en raison de l’absence d’un réseau social et professionnel, de la non-reconnaissance des diplômes, de la déqualification professionnelle, des préjugés et de la discrimination. Dans ce contexte, la spiritualité et la religiosité jouent un rôle crucial en offrant des moyens de passer à travers ces défis.
Cet article explore le vécu complexe du deuil migratoire ainsi que les effets positifs des ressources spirituelles et religieuses dans ce contexte, en examinant leurs diverses fonctions dans le cadre du fonctionnement social des individus au cours de leur parcours d’intégration socioprofessionnelle.
1. Le deuil migratoire, un vécu complexe sur le plan émotionnel et physique
Le deuil migratoire se manifeste à travers divers symptômes physiques et émotionnels chez les personnes immigrantes. Par exemple, certaines peuvent éprouver une tristesse profonde, se sentant déprimées et accablées de culpabilité pour leur projet migratoire. D'autres souffrent d'un manque d'énergie, sombrent dans la dépression et développent des conditions physiques comme l'anémie.
Dans certains cas, le stress lié à l'immigration peut conduire à des croyances irrationnelles, comme la peur d'être persécuté par des esprits ancestraux ou des grigris, alimentant une angoisse constante que des personnes méchantes et envieuses auraient fait des fétiches contre elles. Ces manifestations reflètent la complexité du deuil migratoire et son impact sur le bien-être des personnes immigrantes.
2. La religiosité, un ancrage solide dans le parcours migratoire
La religiosité remplit une fonction sociale essentielle dans le parcours migratoire. Les communautés religieuses offrent aux personnes immigrantes un espace où ils peuvent trouver une reconnaissance identitaire, malgré les difficultés d'intégration. Par exemple, un professionnel dont les qualifications ne sont pas reconnues peut occuper un rôle valorisant au sein de sa communauté religieuse, où son savoir est apprécié. Ces espaces permettent également de développer de nouvelles formes de sociabilité, favorisant ainsi un sentiment de solidarité et d’appartenance.
La religiosité joue également un rôle identitaire, aidant les individus à construire une identité sociale et individuelle en lien avec leurs racines culturelles, tout en s’intégrant dans la société d’accueil. De plus, la portée symbolique des pratiques religieuses, comme la prière ou la participation à des rituels, renforce des valeurs telles que la persévérance et le courage, essentiels pour surmonter les obstacles à l’intégration.
Une étude exploratoire que j’ai menée sur le rôle de la religion et de la spiritualité au fil de l’intégration des professionnels issus de l’immigration au Québec (Saint-Amour, 2019) révèle que les pratiques socio-religieuses aident les professionnels immigrants à surmonter la dépression, le découragement et le stress migratoire vécus dans leur parcours d’intégration socioprofessionnelle. La fréquentation de l’église, par exemple, offre un espace de soutien émotionnel et communautaire, permettant aux individus de se ressourcer et de renforcer leurs liens sociaux.
La prière est au même titre une pratique centrale; elle offre un moyen de solliciter un Être suprême pour faire face aux défis de l’intégration. Une ingénieure immigrante rapporte qu’elle priait avant ses entretiens d’embauche. De plus, les témoignages partagés au sein de la communauté religieuse apportent espoir et patience aux personnes en difficulté. En somme, ces pratiques religieuses aident les migrants à trouver du réconfort, à maintenir l’espoir, et à créer des réseaux de soutien essentiels pour leur intégration.
3. La spiritualité, une perspective réconfortante en contexte de deuil migratoire
La spiritualité offre une perspective plus personnelle et introspective dans la gestion du deuil migratoire. Elle permet aux professionnels immigrants d’attribuer un sens spirituel à leurs expériences d’intégration, en percevant les défis comme des épreuves qui renforcent leur foi. Par exemple, un professionnel immigrant peut voir les difficultés professionnelles comme une étape dans son parcours de développement spirituel et personnel.
La spiritualité favorise également, au fil du temps, une réinterprétation du sens initialement attribué à leur projet migratoire, transformant ainsi la perception des échecs en opportunités de croissance personnelle et professionnelle. En maintenant l'espoir et la résilience grâce à la foi, les individus trouvent la force de persévérer malgré les défis.
L’étude mentionnée plus haut indique également que les pratiques socio-spirituelles ont aidé les immigrants à mieux vivre la déception de leur projet migratoire, ainsi que le stress, la déprime et l’angoisse liés à leur parcours d'intégration socioprofessionnelle. Un enseignant immigrant en situation de déqualification sur le marché de l’emploi témoigne que l’écoute de musique, notamment chrétienne, l’aide à apaiser son stress et à fortifier son âme.
Le chant est en outre utilisé comme un moyen de communication avec un Être plus grand que soi-même, offrant force et réconfort face aux épreuves. En effet, une étudiante immigrante témoigne avoir pu persévérer et surmonter l’échec de son cours universitaire grâce à un cantique qu’une amie lui avait laissé sur sa boîte vocale. De plus, la danse et le bénévolat ont un effet thérapeutique et renforcent l'estime de soi, contribuant ainsi à une meilleure intégration dans la société d'accueil.
En résumé, la spiritualité et la religiosité offrent des ressources essentielles pour gérer les symptômes émotionnels et physiques du deuil migratoire en renforçant l’identité, la solidarité, l’espoir et la résilience à travers les croyances, les pratiques et les rites. Ces éléments donnent un sens renouvelé au projet migratoire, renforcent la confiance des professionnels immigrants en leurs compétences encore non reconnues dans le pays d’accueil, et nourrissent l’espoir en un avenir meilleur, apportant ainsi réconfort et sérénité face aux défis de l’intégration.
Rigaud Saint-Amour, Docteur en counseling, T.S.
Conseiller conjugal et familial
Institut Impact International
Lectures recommandées :
Gauthier, G. et al. (2023). La prise en compte de la spiritualité en travail social : une analyse quantitative exploratoire. Revue Intervention, 157.https://revueintervention.org/wpcontent/uploads/2023/07/11_ri_157_2023.2_Gauthier_Bergeron-Leclerc_Pilote.pdf
Saint-Amour, R. (2019). Le rôle de la religion et de la spiritualité au fil de l'intégration : le cas des travailleurs qualifiés d'origine haïtienne (Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal). Archipel-UQAM. https://archipel.uqam.ca/13561/1/M16375.pdf
Stern, J. (1996). L’immigration, la nostalgie, le deuil. Filigrane, 5, 15-25. https://spip.teluq.ca/filigrane/squelettes/docs/no5_automne/dStern.pdf
Van Cappellen, P., & Zhang, R. (2021). Émotions positives : rôles et importance dans la spiritualité (J. Gautier, Trad.). Dans Psychologie et spiritualité (pp. 35-47). Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.rouss.2021.01.0035
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